Qui suis-je ?

Avec les mots des médias, Jeanne Bordeau crée une œuvre d’art singulière

Depuis 15 ans, Jeanne Bordeau, linguiste et artiste, lit et crible les journaux et magazines les plus lus pour récolter les mots qui dessinent l’actualité. Avec ces mots, elle compose chaque année, 10 tableaux sur 10 thèmes. Ses toiles nous content aussi bien l’univers lexical de la société, de la politique, du développement durable, de la communication que de la femme, de la culture…

Elle sélectionne les mots les plus répétés ou les plus rares. Ses tableaux sont des fresques lexicales, des collages inédits qui mettent en scène un récit linguistique et artistique de notre société.

Le célèbre lexicologue Jean Pruvost affirme que Jeanne Bordeau a inventé “ le lexico- picturalisme “ car à partir des mots, elle crée des images. Elle relie sens et émotion.

Jean-Paul Goffard qui photographie ses compositions depuis la première collection, nomme poétiquement ses collages de mots “paysages de mémoire”.

En recueillant minutieusement chaque semaine des mots des médias qu’elle classe pour ses “tableaux contes”, réunit et compose en fin d’année, elle dit « capter les mots qui se brûlent comme des papillons dans le feu de l’actualité incessante ».

Ces flux de phrases qui tourbillonnent dans l’oreille de chaque Français, jour après jour, sont posés à jamais dans ses collages, témoignages artistiques de l’époque.

Jeanne Bordeau brode ainsi une singulière tapisserie de Bayeux, avec les mots de l’année qui ont enchanté ou blessé, « tous ces mots qui se « taguent » dans nos souvenirs » comme elle dit. Est-elle est tisseuse de mots, entomologiste, mémorialiste ?

Dans ses créations uniques en leur genre, l’écriture, la calligraphie, la typographie sont le dessin de la pensée. La forme même des lettres et la police de caractères ajoutent une dimension sensible à ses tableaux qui croisent néo-dadaïsme, street-art et pop-art !

Qui se souvient  pourquoi, quand et comment les médias se sont emparés de « Zad », « chatbot », « vuvuzela », « sans dents » ou « solastalgie » ? Qui se souvient de l’année où ont été lancés les mots « coworking » et « quenelle » ?

Son expression artistique est à la fois colorée et sombre. Canevas d’ombres et de lumières de mots dissonants ou heureux.

Parlant de l’euphorie d’une coupe du monde gagnée ou de la violence d’un « #Je suis Charlie », ses collages touchent et sollicitent notre raison, notre cœur et notre mémoire. Les compositions  de Jeanne Bordeau coagulent les moments et les temps accélérés de l’année où parfois les mots donnent en même temps forme à la violence et à l’horreur, à la douceur et à la beauté du monde.

Ses œuvres nous cherchent, nous troublent, nous émeuvent, nous choquent. L’artiste nous tend les mots pour que nous puissions tracer dans cette profusion sémantique notre propre chemin.

Inspirée à la fois par Robert Rauschenberg qui réunit dans ses collages des combinaisons de mots incongrus, elle revendique un cousinage lointain avec Rimbaud qui écrit dans Voyelles que les mots possèdent une couleur : « A noir, E blanc, I rouge ». Depuis l’enfance, le langage est pour Jeanne Bordeau, matière, couleur, texture.

Elle aime à dire qu’elle est « sœur de cœur » de poètes comme Char, Césaire ou Oho Bambe qui font chanter la langue bien au-delà de son sens apparent. En 2016, Oho Bambe a slamé ses créations avec les mots qu’elle avait récoltés cette année-là.

Jeanne Bordeau est aussi touchée et inspirée par le récit que François Cheng tisse de la langue française dont il  exprime toute la singularité, la musicalité et surtout la sensorialité.

Ses tableaux sont souvent exposés. Elle est accueillie depuis trois ans au Conseil économique, social et environnemental par le comité de la francophonie et notamment en mars 2020 pour fêter les 50 ans de la francophonie. Elle a exposé à l’Orangerie du Sénat dans le Jardin du Luxembourg, à l’Alliance française et à la Cité des Sciences à l’invitation du forum Changer d’ère…

La Chancellerie du premier ministre belge l’a invitée à venir présenter ses créations et le sénateur-maire du Mans, Jean-Claude Boulard, à les exposer dans le plus grand théâtre de sa ville natale. Cet anthropologue érudit, auteur et homme politique appréciait cette célébration hors norme de la langue française, ces tableaux « poèmes dessins ».

* 10 thèmes : société, économie, développement durable, ressources humaines, communication, femmes, culture, politique, verbes et « beaux mots »

Le processus créatif

Lire et capter.

Choisir et couper.

Classer dans des cartons à dessin.

Colorier les fonds.

Disposer et composer.

Coller et dessiner.

Le public.

Mes inspirations